Nous sommes aux Gaillardons, où nous rendons visite à Romain Riotton et
sa compagne Jessica Libralato, tous deux presque 30 ans. Ils sont
locataires de la maison de la maman de Romain, Janine, veuve du regretté
Robert, qui fut longtemps notre maire. Jessica est secrétaire
commerciale chez Imer, l'entreprise de Vif qui vend du matériel de chantier,
ne pas confondre avec Isermat, qui loue.
Romain est exploitant forestier depuis 2009.
À l'origine, je voulais être agriculteur, ça m'aurait bien plu de faire du lait,
mais je voyais qu'avec la suppression des quotas, les grandes exploitations
feraient les prix qu'elles veulent en accord avec la grande distribution. Du
coup les petites fermes sont éjectées, elles ne peuvent pas se maintenir.
J’en étais là de mes réflexions quand un ami bûcheron, Jérôme Poulat, qu'on appelle Filo, m'a
dit, "Mais viens donc couper du bois avec moi." Alors voilà, ça a commencé comme ça. On est
chacun à son compte, mais on prend les chantiers ensemble. De mars à novembre on coupe les
sapins pour les scieries Nier à Varces et Barthaley à Tréminy, et aussi Martin à Gresse. On fait
aussi du bois de chauffage. Et l'hiver je travaille avec l'AREA, en CDD VH, Voirie Hivernale.
Chasse-neige, contrôle des haies, etc.
Les bras couverts de résine de sapin (il
en a coupé toute la journée), il nous
explique que la forêt ça fait maigrir, et
de fait Paul, mon complice, confirme : "il
a maigri depuis les photos que j'ai
prises ce printemps." Il est vrai que les
journées sont bien remplies…
A 6h30, on prend le café au bar à Sinard, je laisse la voiture, on monte à
Monestier avec Filo pour prendre Bertrand. En ce moment on est à Gresse.
On attaque le chantier à 7h15.
Bertrand et moi on coupe, Filo débarde avec le tracteur forestier.
Vous avez quoi comme matériel ?
Le tracteur rouge appartient à Filo, le vert, c'est à moi. Les deux sont des
Timberjacks américains. Ça grimpe aux arbres, ces trucs, c'est le cas de le
dire. Moteur de 110cv, treuil de 10t. Et ça coûte un bras, neuf, 180 000€,
évidemment le mien je l'ai acheté d'occasion, et il est plus petit que celui de
Filo.
On se répartit les tâches, moi j'abats, Bertrand ébranche, quand j'ai fini
d'abattre je l'aide, et pendant tout ce temps Filo débarde, c'est-à-dire qu'il
traîne les troncs entre les pentes de la forêt et le chemin goudronné où le
grumier va pouvoir les charger.
J'ai aussi des tronçonneuses évidemment, deux de 72cm
3
, guide-chaîne de
50. Et une fendeuse, puissance 30 tonnes, couplée à la prise de force du
tracteur. C'est un investissement, le banquier voulait attendre trois ans de
bilan pour me prêter de l'argent. Ma première tronçonnneuse je l'ai payée
cash. Ensuite, après un an de bilan, ça allait mieux.
Vous préférez travailler à plusieurs ?
C'est bien de travailler ensemble, on est plus en sécurité…
La sécurité c'est un gros problème ?
C'est un métier comme un autre, mais il faut être vigilant. Calculer comment l'arbre va tomber, ça dépend de la façon dont est répartie
la masse des branches, mais aussi de comment on fait tomber l'arbre, comment on place les "charnières d'orientation". Il y a la
branche morte qui tombe, la chaîne qui déraille, l'arbre qui était piégé entre deux autres et qui est libéré d'un coup, et qui se détend
comme un ressort. Il faut anticiper tout ça pour ne pas
se laisser surprendre. Et puis ici c'est vraiment rare de
couper à plat, on coupe en pente, dans la boue
souvent, il faut bien assurer son pied avant d'attaquer
à la tronçonneuse. Et la fatigue est à prendre en
compte aussi, on coupe de 40 à 50m
3
à deux en une
journée, on fait 6h30-midi, 13h-18h… Le soir on dort
bien, c'est sûr…!
Je t'ai interrompu, tu parlais du travail à
plusieurs…
Oui, on est plus efficaces, et puis c'est un plaisir d'être
entre copains. On a une grande liberté, on fait comme
on veut, on est au milieu des sabots de Vénus, des
arbres, des chamois, il y a même un aigle qui niche au
pied du Mont Aiguille, il arrive que les gardes de l'ONF
viennent arrêter le chantier pour ne pas le déranger. Il
y a des loups, aussi, on en voit parfois…
Loin ?
Pas si loin que ça, ils sont de moins en moins
farouches. Cet hiver, des skieurs en ont vu qui
traversaient la piste de ski, c'était en plein jour. Tout
récemment il y a eu une attaque à Château-Bernard,
la deuxième en une semaine, et c'était en pleine
journée. Moi ils n'affectent pas mon travail, ça m'est
égal, mais bon, pour les copains éleveurs qui se font tuer leur capital, je comprends qu'ils soient un peu énervés. D’autant que les
loups ne consomment pas tout, ils laissent les trois-quarts de la carcasse. Même de ce point de vue, c’est un gaspillage absolu.
Propos recueillis par Bernard Moro et Paul Riondet,
juin 2015
Romain Riotton,
exploitant forestier
Et sur leur toit
cette
toute douce
colombe
beige…