les gens d’ici...
Jean-Claude Girard
à Essargarin
Jean-Claude gamin, “croqué” par son instit’ Raymond Gordes
Jean-Claude Girard est le fils du Félix (qui fut conseiller municipal en son temps) et de la Mélina à Essargarin. C'est LE Sagarrinou de référence. Essargarin (les essarts de la garenne en patois) est une lointaine colonie de Saint-Martin. Avec une voiture normale, le hameau blotti au fond de la combe de la Gresse --six foyers-- est à 15 kilomètres de la Mairie par la Girardière et le Genevrey. Sinon on descend par le chemin de la Coynelle. Tout gosse il montait seul à l'école de La Cluze-et-Pâquier (c'est comme cela qu'on appelait Saint-Martin à l'époque), à pied, dans l'obscurité et la neige jusqu'aux genoux en hiver. Arrivé sur le plateau il rejoignait ceux de la Coynelle, puis encore plus tard posait avec eux ses souliers près du poêle de la salle de classe, après une heure de marche. On grignotait d'un bout de pain et de sau - cisson à midi, puis le soir on redescendait de même, toujours dans la nuit précoce de l'hiver. Les mamans parfumées qui s'accumulent aujourd'hui en 4x4 à l'entrée des écoles pour y déposer leurs petits ont sans doute peine à imaginer un gamin tout seul marchant deux heures par jour par tous les temps pour se rendre à l'école de la République.
Toujours pour la République, Jean-Claude dut partir en Algérie faire cette guerre étrange qui ne disait pas son nom. A quelques jours de son retour vers la France, dans une opération en plein djebel, le convoi de camions arrêté, l'un de ses copains s'avançait sur la route, à quelques pas de Jean-Claude, et soudain son corps est monté droit en l'air, désintégré par une mine anti-char. "On n'a pas tout retrouvé," dit Jean-Claude, "on ramassait ce qu'on pouvait, il y en avait partout, sur un rayon de 10 ou 15 mètres. Les cercueils étaient scellés, c'est une chance, les familles ne voyaient rien, c'était simplement, "Mort pour la France", et voilà. Et dans le regard de Jean-Claude on voit encore cette explosion, ce déchirement, cette mort inutile qui aurait pu être la sienne.
Quel a été ton meilleur souvenir ? La rade de Marseille, quand on est rentrés avec le bateau. Jusqu'au bout on se disait, est-ce qu'on va y arriver ? Et là, la rade de Marseille, tu te dis, ça y est, j'ai survécu. Ensuite Jean-Claude est entré au Chemin de Fer, ouvrier-cantonnier sur les voies. Quelquefois, seul à pied sur la voie entre Monestier et La Cluze. Quand il neigeait on n'entendait pas le train arriver, c'était un risque. Les tunnels aussi. Une fois il a juste eu le temps de se jeter au sol sur le ballast pour éviter le marche-pied des wagons. "Mais c'était sympa, on était une bonne équipe, on était libres, on faisait un peu ce qu'on voulait quand on voulait." A présent septuagénaire en pleine forme, toujours souriant, Jean-Claude chasse, fait son bois, son pain, son vin aussi , un petit blanc issu d’une belle vigne bien entretenue, parfois délicieux cela dépend des années, en tout cas qui ne fait jamais mal. La preuve.
Une chronique pour que les nouveaux arrivés reconnaissent les anciens du village...