Une chronique pour que les nouveaux arrivés reconnaissent les anciens du village...
Les Recolin-Blardon
Vers le bas du hameau de la Salle, au lieu de partir à gauche vers Château Pâquier on prend à droite.
Eve Recolin-Blardon est née le 16 octobre 1940 sur l'autre versant de Saint-Martin, au Pigeonnier, là où se trouve la ferme. Gamine, elle montait au village avec Jean-Claude, qui la rejoignait sur le chemin en arrivant d'Essargarin. A l'époque, ce qui fut la pizzeria du Mont-Eynard était un hôtel, qui appartenait à Monsieur Cuchet, cousin d'Albert, ancien maire.Elle est l'épouse de Camille Recolin-Blardon, 70 ans, que nous entr'apercevons de loin. Eve est un personnage haut en couleurs, une maîtresse-femme qui s'adresse à nous avec une certaine autorité ironique. Longue lignée de Saint-Martinous, les Recolin-Blardon ont logiquement vu deux de leurs hommes endosser l'écharpe de maire. François de 1944 à 1947, Alexandre de 1947 à 1959. Alexandre fut le beau-père d'Eve, qui l'évoque avec une discrète admiration, on sent que cet homme d'envergure lui a communiqué cette assurance que donne l'appartenance à une famille qui compte dans une communauté.
Elle nous raconte comment Alexandre était de ceux qui ont l'esprit d'entreprise. C'est lui qui monta le dossier de subvention pour l'adduction d'eau de la commune et le défendit à Paris. D'un point de vue entrepreneurial il eut aussi l'idée de collecter le foin de tout le plateau, que bottelaient pour lui Paul Terrier, ou encore Dré Valentin. On descendait ensuite les bottes par chariots entiers jusqu'à la gare de Saint-Martin à la Coynelle, où elles étaient embarquées dans des wagons à destination de tous les lieux de France où la demande était forte. Par la suite, le marché étant focalisé sur les aliments en granules pour le bétail, il décida de broyer le foin pour le revendre sous forme de granulés.
Puis ce fut la paille, puis la luzerne, qu'il était le seul dans tout le département à conditionner en granules déshydratés. Pour cela on avait acheté une machine spéciale, qui fonctionnait au fioul. Mais le premier choc pétrolier de 1972, qui fit passer le prix du gasole de 10 à 20 centimes, l'obligea à se tourner vers l'énergie électrique. D'où l'installation du transformateur personnel en face du hangar de la ferme, qui permit de développer la puissance nécessaire aux équipements. Très vite pourtant les tracasseries règlementaires eurent raison de cette activité. Les acheteurs devenaient de plus en plus exigeants, et bientôt il fallut que l'entreprise Recolin-Blardon, en tant que productrice, assume elle-même les frais des analyses des produits, de plus en plus fréquentes, pour finalement s'arrêter.
C'est sur cette note un peu amère qu'Eve achève son pan d'histoire de la commune. "La vie était plus sympa qu'aujourd'hui," dit-elle, "à l'époque on pouvait tenter des tas de choses, avec des idées et de la volonté on avait des chances de réussir. Maintenant il y a trop de contraintes. On ne pourrait plus faire la même chose. On est pris à la gorge."