René et Suzanne Jourdan
René Jourdan est né à Vif en 1941, mais sa
famille et ses parents habitaient à la Salle une
maison-ferme très ancienne, probablement du
16ème siècle, appartenant à la grand-mère
maternelle, née Faure, également une vieille
famille locale. Elle est décédée en 1947. Son
grand-père paternel était fermier à Jaffonière.
L'école
C'est vrai qu'à cette époque il y avait beaucoup
plus de neige que maintenant, et les moyens
étaient très spartiates. Le garde-champêtre,
François Assens, allumait le poêle, ensuite les
gamins de corvée allaient à la cave chercher les
boulets de charbon dans un seau. Avec nous il y
avait Eve Meneghin (maintenant Recolin-
Blardon). Il y avait aussi Jean-Claude Girard, il
avait trois ans de plus que moi. Moi je ne
mangeais pas à l'école, comme j'habitais à la
Salle, je revenais à midi, même pas un kilomètre,
mais en enfonçant dans les congères, c'était
physique. Et j'ai encore en tête l'image des
chevaux de trait de la famille Blardon qui tiraient
le chasse-neige en bois, ils avaient parfois de la
poudreuse jusqu'au poitrail.
Avec l'instituteur, M. Gordes, on faisait
beaucoup de sorties. C'était une pédagogie de
l'expérience en quelque sorte. Une année on
avait fabriqué un kayak et on allait l'essayer sur
un bras mort du Drac, ce qu’on appelle ici une
“biole”. Même Jean-Claude, pourtant M. Gordes
l'avait dispensé, pour lui qui déjà venait
d'Essargarin, descendre jusqu'au Drac, puis
remonter à la Cluze, puis redescendre le soir à
Essargarin, cela faisait une sacrée distance à
pied. Du coup Jean-Claude avait le droit de
partir plus tôt, mais il tenait à venir avec nous
tous. C'était un bon marcheur. C'est toujours je
pense un bon marcheur.
Mes conscrits ? Il y avait Simone Sarrat, née
Valentin, et elle avait un frère jumeau, René,
avec qui je faisais toujours équipe. Leur cousine
aussi, Monique Vallier la sœur de Christophe,
qui est aussi parmi les Gens d'Ici. Et enfin
Gérard Simiand, le frère de Jean.
Je connaissais bien aussi le Feli (prononcer 'feu-
li) et la Mélina, les parents de Jean-Claude à
Essargarin. C'était un personnage le Feli, et un
homme de conviction. Il avait son franc-parler.
Mon père m’a raconté que pendant l’Occupation
les Allemands réquisitionnaient tous les
véhicules des particuliers, et l'instit de l'époque,
M. Martinet, avait une voiture. Et par amitié, le
Feli avait caché la voiture de M. Martinet, il avait
pris des risques pour que les Allemands ne la
trouvent pas.
à Peillavène
Je voulais être instituteur. Mon père était
coupeur gantier, mais il n'avait que cette
ressource, contrairement à la plupart des gens
du village qui avaient aussi des terres qu'ils
cultivaient. Quand l'industrie du gant s'est
effondrée, il a cherché du travail à Grenoble. Il
avait 50 ans, ce n'était pas facile. Et moi à
l'école je voyais M. Gordes qui nous emmenait
au Drac, au ski, et même quelquefois il mettait
son fusil dans le couloir de l'école et hop, à
16h30, il partait chasser jusqu'à la nuit. Ça me
fascinait, cette liberté par rapport aux autres
métiers, donc je voulais faire ça. Un peu plus
tard on m'a dit, non, tu ne vas pas à l'école
normale, tu vas en classe prépa et tu vas plus
loin. J'étais à Champollion, Michel Fugain —Eh
oui, le chanteur, c'était le fils d'un médecin très
connu de Grenoble— était dans ma classe. Et
puis j'ai bifurqué en fac d'histoire-géo, où j'ai
rencontré ma femme, Suzanne, on a passé le
CAPES, obtenu un premier poste double à
Nancy, le purgatoire des profs. Nous sommes
revenus dans le secteur avec un poste à
Roussillon en 1971. Bien sûr nous venions très
souvent ici en vacances, et j'ai complètement
retrouvé mes racines en achetant ce terrain en
1973 à ma cousine, la mère de Michèle Allard.
Ma famille était toujours restée ici à Pâquier.
Un regard sur le village
Mis à part le côté affectif, par déformation
professionnelle je suis très sensible à la géo-
graphie physique du lieu. La commune est
limitée par deux rivières, avec deux versants
très différents. Côté Essargarin, beaucoup d'eau
qui s'écoule le long des schistes. De ce côté-ci,
c'est beaucoup moins humide, mais il y a des
puits en abondance.
Oui, j'ai pu observer l'exode rural, au début je
participais aux travaux des champs, on récoltait
la fenasse, ce sont des graminées plus hautes
que le foin normal, dont on tirait la graine, on les
coupait à la faucille à 50 cm du sol, on les battait
à part, et on vendait cela comme semence, très
cher, dix fois plus cher que le blé. On travaillait à
la main, on mettait en gerbe et on emmenait les
cuchons (les petites meules) dans les ‘chars’
tirés par des chevaux.
Et on est passé d'un seul coup de ces
techniques pratiquement médiévales, de
manière vertigineuse, à la modernité. La
batteuse à vapeur dont parle Marcel Riondet a
été une sorte de transition. A partir des années
60, je m'emmerdais comme un rat mort ici,
j'allais aux champignons, à la pêche, je me
baignais dans le Drac, et puis quoi faire? La
campagne s'était désertifiée. Tous les jeunes
gens ou presque partaient pour la ville.