les gens d’ici...
Nous entrons dans l’atelier où se retrouvent deux anciens artisans gantiers, Camille de Waure et son ami Salvator Notturno, tous deux animés par cette passion du beau matériau, du travail bien fait et des outils efficaces. D’immenses ciseaux, des lames aux formes absconses et des peaux déjà travaillées, toutes douces, moelleuses et sensuelles, encombrent la table. Il ne manque que la bonne odeur du cuir, la technologie du DVD n'en est pas encore là et franchement c’est bien dommage. Camille, l’un des derniers témoins du temps où Grenoble était la capitale mondiale de la ganterie, nous fait une démonstration, étirant une somptueuse pièce de cuir sombre sur le bord de son établi, un peu comme on étire de la pâte à tarte pour en faire une très très fine lame de matière. "Ça c'est l'étavionnage", nous explique-t-il, "mon père faisait le dépeçage, et moi la seconde opération, l’étavion et les fourchettes…" "Le salaire de mon père dans les années 60 était de l’ordre de 50 à 60.000Fr de l’époque, soit un tiers de plus que le salaire d’un professeur agrégé du lycée Champollion, c'est dire qu'on tenait le haut du pavé, pour des ouvriers… quand on sortait on savait dépenser…" Il passe ses mains bien à plat sur la pièce de cuir… "Bien lissé est à moitié étavionné…", commente Salvator, qui le regarde faire avec un plaisir évident. La peau se tend, chacune a sa particularité, sa souplesse, son épaisseur, son moelleux spécifiques. On mesure les pièces avec une règle graduée en pouces. Salvator : "On imite les anciens, et on apprend. Au début de mon apprentissage on était deux ou trois dans l'atelier. Ensuite ça a pris de l’ampleur. Vous vous rendez compte, entre 59-64, notre petit atelier faisait 25 000 douzaines de gants par an. 300 000 paires !  Les clients privilégiés pour les gants c'était l’Angleterre et ses colonies jusqu’à la seconde guerre mondiale, et puis ensuite les États-Unis, les grands magasins de New York, Washington ou Dallas. Je me souviens, il y avait la femme d'un propriétaire d'un de ces grands magasins, elle nous achetait –vous imaginez ?– 365 paires de gants de cuir blanc par an ! Elle en portait une nouvelle paire par jour !!"
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Des gens qui aimaient leur travail
On monte dans un grenier spacieux, très lumineux, où pendent à perte de vue des peaux sous les poutres, dans la lumière. Nous sommes dans les combles d'un abattoir, et le propriétaire Gérard Janton montre comment on doit pendre les peaux sur des cordes, qui les cintrent, et non sur des fils de fer, qui les abîmeraient. Puis c'est l'atelier de Jean Strazzeri. Il nous donne à voir l’une des peaux qu’il vient d’acheter, blanche, magnifique, mais dont lui détecte les défauts, dus soit à des blessures ou des maladies de l’animal, soit à un traitement inadéquat. Et il explique qu’avec des pièces ainsi endommagées on va traiter façon velours, c’est-à- dire qu’on va travailler côté chair, et non pas côté fleur. "J’aimerais transmettre mon savoir," dit-il en souriant, "parce qu’il n’y a pas pire mort que de partir avec son métier." Magnifique réflexion, qui devrait tous nous animer.
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Cette page est une compilation d'informations extraites du beau DVD de Jacques Mouriquand intitulé Le peuple du Gant et publié par Migootv.com. Inévitablement j'y laisse filtrer mon propre parti-pris. L’intérêt de l’original tient donc à la neutralité objective de son approche et à l’abondance d’images d’archives de l’INA, inaccessibles pour nous, et bien sûr aux interviews in vivo de nombreux (descendants de) protagonistes de cette aventure. Ici, leur adresse pour commander le DVD en question.
Marielle Jacquemont-Collet est installée au-dessus de l’atelier de Salvator Notturno, mais longtemps, comme des milliers de femmes gantières, elle a travaillé à domicile. Elle nous indique que la logistique de livraison des pièces avant et après couture était assurée par une dame appelée “l’entrepreneuse”, laquelle organisait le travail, régissant ce petit monde pour le producteur. "Chez moi, je travaillais exactement comme si j’étais à l’usine. Je m’imposais des horaires rigoureux, je faisais mon ménage entre midi et deux, et je récupérais les heures s’il me fallait prendre une demi-journée pour mes enfants. En s’imposant des horaires d’usine, on gagnait bien sa vie, tout en étant à domicile." Il lui arrive maintenant de faire des gants pour des productions filmées, par exemple, La Reine Margot, avec Isabelle Adjani. Elle montre la paire qu’elle a cousue pour l’actrice, des gants à crespins, c'est-à-dire évasés sur l'avant-bras façon mousquetaire, avec un bouton pour la fermeture au poignet.